• Qui se cache derrière Google?


    Intimités sous contrôle - REGARDS

    Merveilleuse matrice / par Marc ENDEWELD.

    D'un côté, le monde merveilleux de Google. De l'autre, une multinationale que rien ne semble arrêter. En 2007, la firme comptait ainsi 16 593 salariés, alors que, lors de sa création, en 1998, à peine trente informaticiens faisaient partie de l'équipe ! Car, à l'origine, c'est un pari d'étudiants de Stanford. Le moteur de recherche, devenu incontournable aujourd'hui, fut créé dans un garage par Larry Page et Serguey Brin, à peine 25 ans...

    De cette époque légendaire, l'esprit potache est resté. Quand on est un « googler » - comprendre un salarié de Google - on travaille à la « cool », en petites équipes, sans horaires définis. Les repas sont gratuits, des aires de jeux sont installées en plein milieu des bureaux pour faciliter les contacts et la créativité. Résultat, les salariés de Google, bardés de diplômes, passionnés d'informatique (des « geeks » en anglais) passent des heures devant leurs écrans à remplir des lignes de codes informatiques.

    Durant les premiers mois de votre arrivée, un salarié référent vous accompagne à chaque instant. Dans le monde merveilleux de Google, on appelle ça « un pote ». Oui, vous avez bien lu, un pote... D'ailleurs, « tous mes amis sont chez Google, remarque une salariée à Dublin, résultat, je n'ai pas le temps de voir des gens en dehors du boulot. » Pratique pour améliorer encore un peu plus la productivité de chacun...

    La plupart des salariés ont entre 25 et 30 ans et viennent de tous les pays du monde. C'est souvent leur premier job. Et dans cet univers aseptisé, sans aspérités, ludique même, ces informaticiens ne semblent pas se poser trop de questions quant à la place de leur entreprise dans l'espace public... Ces jeunes salariés ont d'autres soucis : l'essentiel pour eux est d'avoir la « googlitude ». Dit autrement : avoir l'esprit ouvert, être curieux et s'entendre bien avec les collègues (les salariés se jugent entre eux, notamment pour les primes). Pendant ce temps-là, les recrutements vont bon train. Et Google grossit, toujours plus, acquiert des parts de marché dans de nouveaux secteurs, se rend indispensable...

    Cette expansion sans limite s'est néanmoins réalisée à partir de quelques principes... bien naïfs. « Ne faites pas le mal », est l'une des devises inculquée aux salariés. Serguey Brin aime déclamer : « Nous voulons construire un monde meilleur. » L'entreprise s'investit dans des projets écologiques, a soutenu les mobilisations des gays et des lesbiennes lors du dernier référendum en Californie sur le mariage homosexuel. Et l'actuel P-DG, Eric Schmidt, est l'un des principaux conseillers du nouveau président Barack Obama.

    Devant tant de bonnes volontés affichées, beaucoup oublient que Google est devenu en dix ans un monstre tentaculaire, recueillant des milliards de données personnelles. En 2008, l'entreprise a capté 40 % des dépenses de communication sur Internet, et offre désormais des dizaines de services aux internautes contre de la pub : messagerie Gmail, Google News, Google Earth, Youtube, lancement du smartphone pour concurrencer l'Iphone d'Apple, et même développement d'un nouveau navigateur internet, Chrome.

    Son chiffre d'affaires représente désormais plus de dix milliards de dollars (pour un bénéfice de trois milliards). Et malheureusement, tout ça vaut bien quelques compromis... Google a ainsi accepté de travailler avec le gouvernement chinois pour maintenir la censure dans l'Empire du milieu ! Bref, n'oublions pas que les blagues potaches virent souvent au mauvais goût.

    [Dans REGARDS - Janvier 2009]
    http://www.regards.fr/

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    Dans l'œil de google / Marc ENDEWELD.

    N'importe qui peut être Big Brother aujourd'hui, « vous avez juste besoin d'une connection Internet », lance sans rire Andrew Keen. Ce spécialiste américain du réseau des réseaux a récemment sorti outre-Atlantique un ouvrage polémique sur les développements récents du Web 2.0 intitulé The cult of the amateur, how today's Internet is killing our culture. Traduction : le culte des amateurs ou comment l'Internet d'aujourd'hui tue notre culture. La charge est lourde, parfois excessive, mais toujours très informée. Car Keen est loin d'être un « anti-techno », ni un novice.

    Durant les années 1990, il eut la chance - surtout son portefeuille d'ailleurs - de faire partie des premiers entrepreneurs de la Silicon Valley qui accompagnèrent le développement d'Internet. On est donc loin des pamphlets faciles contre la toile mondiale écrits par certains « intellectuels médiatiques » obnubilés avant tout par la perspective de perdre le monopole de leur estrade télévisuelle. Et si le propos de Keen est parfois volontairement provocateur, il apporte aux lecteurs des éléments sur lesquels, d'habitude, on préfère ne pas s'attarder. De peur de savoir. Parmi ses inquiétudes multiples, figure l'impossible respect de la vie privée sur le réseau. « Google, Yahoo et AOL n'ont aucune obligation légale d'effacer leurs anciennes données, rappelle-t-il, ces sociétés enregistrent et conservent sans contrôle tous les sujets que l'on recherche sur le Web, les produits que nous achetons, et les sites sur lesquels nous surfons. »

    Devant notre écran, cliquer sur un moteur de recherche est devenu un geste banal, quotidien. Pourtant, on a tendance à oublier que chaque clic constitue une information en soi. Et au fil des années, ces informations sont recueillies par un nombre toujours plus restreint de sociétés. Pour le seul mois de juillet 2006, les internautes ont interrogé 2,7 milliards de fois le moteur de recherche de Google, et 1,8 milliard celui de Yahoo. « Ces moteurs de recherche veulent nous connaître intimement, ils veulent devenir nos plus proches confidents. Car plus ils possèdent d'informations sur nous - sur nos hobbies, nos goûts et nos désirs - et plus ils peuvent vendre ces informations à des publicitaires ou des spécialistes en marketing qui pourront davantage personnaliser leurs produits, leurs services en retour. » Quand la boucle est bouclée...

    Et pour ces moteurs de recherche, quelle est l'arme idéale pour recueillir automatiquement le maximum d'information sur les internautes ? Les fameux « cookies » ! Derrière ce nom sympathique se cachent en fait de véritables mouchards qui s'installent sans prévenir sur nos ordinateurs dès que l'on ouvre une page Web. Ces petits programmes informatiques sont partout. Ils enregistrent nos sites préférés et sont même capables de savoir sur quelles publicités nous cliquons ! Quelle est la durée de vie d'un cookie ? Pendant combien de temps est-il activé et peut-il recueillir des informations ? Rassurez-vous, un cookie appartenant à Google, par exemple, est prévu pour fonctionner jusqu'en 2036 ! Rien que ça...

    Bien sûr, à partir d'un logiciel de navigation, un internaute peut décider de refuser l'enregistrement automatique de ces cookies, mais la conséquence directe de ce choix d'indépendance et de protection est qu'il ne pourra plus utiliser toutes les fonctionnalités des sites. C'est donnant, donnant. D'ailleurs, ces restrictions se multiplient sur le Net, car, pour les firmes informatiques, l'enjeu économique est trop important. Et ce n'est pas fini : selon le New York Times, la nouvelle génération du Web permettra à des logiciels intelligents de prévoir nos futures décisions ou intentions à partir des informations recueillies sur le Web, comme nous trouver l'hôtel qui nous conviendra le mieux. Mais voulons-nous vraiment laisser une machine décider à notre place ?

    En attendant, le développement du Web 2.0 amène les internautes à laisser de plus en plus de traces personnelles sur le réseau. Il n'y a qu'à penser à l'explosion - narcissique, diront certains - des pages Myspace, des vidéos amateurs sur You Tube et autres blogs où tout un chacun peut déblatérer sur sa vie, mais également sur celle des autres, sans aucune limite ou protection. Ce qui fait dire à Keen que l'on assiste « à la démocratisation du cauchemar d'Orwell ». A travers ce village global, les rumeurs peuvent se propager à très grande vitesse, peu importe les dégâts pour les victimes. Car, désormais, tout employeur a pris l'habitude de faire sa petite enquête sur Internet sur ses salariés ou futurs salariés. Un verbe a même été inventé pour cette pratique : « googliser », « to google » en anglais. Le pire, c'est que chacun de nous en a pris l'habitude.

    [Regards - Novembre 2007]


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